Présence traversée

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Entretien avec Rafaël Trapet, réalisé par Muriel Lebert Salling,
chargée du projet des Ateliers Ouverts de la ville de Creil. (septembre 2008)

 

La question de l’inscription du corps dans la ville est un thème moteur
dans votre travail. Vous avez souhaité que les jeunes s’approprient
cette notion. Avez-vous été surpris par certaines de leurs
réactions ?
De manière générale, il y a un lien entre la multiplication des
moyens de sollicitation de l’attention des individus (téléphones
portables, publicités, agitation urbaine…), et la difficulté d’être
présent dans l’instant et conscient de l’espace environnant. Pour
certains des participants de l’atelier, ma demande d’inscription
dans le réel est vraiment allée, non sans quelque défi de ma part,
à rebours de leur mode de fonctionnement marqué par la diffraction
de l’attention, l’éparpillement. L’expérience s’est tout compte
fait avérée salutaire.

 

Dans le cadre de votre projet, comment avez-vous réussi à concilier intérêt
particulier et travail collectif ? Comment avez-vous délimité votre
part et la leur. La leur vis-à-vis des autres membres du groupe ? Quel a
été le degré d’autonomie réservé aux uns et aux autres ?
Une procédure photographique, réaliser un portrait individuel en présence
de tous, a permis, en exergue du développement du workshop,
tel un alibi , de conditionner ma demande à leur égard, d’imposer la
disponibilité de chacun à soi et à l’autre comme préalable au travail à
mener ensemble. Cette introduction maintenant m’apparaît comme la
métaphore du travail réalisé au cours de la résidence. En extérieur,
chacun a appris tour à tour à être maître d’œuvre, acteur ou simple observateur
glissant d’une fonction à l’autre, se pliant aux conditions de
chaque dispositif imaginé.
La nature hétérogène du groupe s’est cependant heurtée à certaines
limites et les expériences que j’avais programmées dans un premier
temps hors contexte, ont été mises de côté (exercices de respiration,
dessins prospectifs…) au profit d’une approche beaucoup plus pratique.
La compréhension des étapes du processus artistique est passée par la
démonstration concrète des développements photographiques possibles
: rapport au plan, rapport d’échelle, notion de point de vue, de
perspective ; à chaque fois l’image a joué le rôle de médiateur tant
entre les individus qu’avec l’espace de la ville. La question étant toujours
en arrière plan : comment se situer en tant qu’individu dans la ville,
comment y inscrire son corps ?

 

Quel a été votre fil d’Ariane durant ces quatre mois ?
La motivation est toujours pour moi la question du territoire et le point
de vue par lequel l’aborder, ce qui en tant que photographe paraît une
évidence, mais ce n’est pas si simple. Les images réalisées avec le danseur,
Edouard Termignon auquel j’ai demandé de venir s’inscrire dans le
territoire creillois, expriment et concrétisent ce désir qui est au coeur de
ma démarche.

 

Effectivement, votre résidence à Creil a également été l’occasion de
donner forme à un travail personnel de recherche avec ce danseur

Quelles ont été vos intentions avec lui dans l’espace de la ville ?
Le désir de confronter la force de cette présence du corps au paysage
urbain est un axe que je développe dans mon travail. Avec ce
danseur, cette dimension s’accroît. Ses gestes relèvent d’une chorégraphie
adaptée aux contraintes propres au langage photographique
et pictural. Ils sont arrêtés dans le temps et l’espace et
apportent au paysage cette dimension de concentration qui m’intéresse.

 

Du côté des élèves, qu’est-ce que le dispositif panoramique implique
et révèle dans la perception de l’ environnement ?
La ville est familière aux élèves mais à travers des parcours précis
et répétés. Le panoramique en tant que dispositif permet d’enfreindre
les linéarités, de creuser des perspectives inhabituelles ; d’amener
à des profondeurs inexplorées.
La spécificité quasi cinématographique de l’image panoramique a
permis à chacun des membres de l’atelier de raconter sa propre fiction
sur la ville, de donner forme à une idée et de révéler des regards
inédits ; ceux des jeunes sur leur cité subie, transfigurée ou
fantasmée.

 

Comment faîtes-vous écho à cette rupture dans la banalité de la
perception urbaine dans la manière d’exposer les œuvres à l’Espace
Matisse ?
Comme la perspective mathématique, le cadre photographique rectangulaire
est arbitraire. Le format panoramique est une des réponses
alternatives permettant d’ouvrir le champ classique et de
décupler les perceptions tant dans l’expérience du faire en action,
dans l’espace urbain que dans celle du regard confronté à la circularité
de l’image. Dans l’exposition on peut ainsi tourner autour
d’une image appliquée à un cylindre constamment conscient du
hors champ infini. Le dispositif d’exposition a été d’ailleurs l’objet
de discussions avec les élèves qui ont pris part, maquettes à l’appui,
à l’accrochage et ont donc suivi le déroulé de la résidence de bout
en bout.